Section 4 : Croissance économique

 

4.1 Définition

On peut définir la croissance économique comme l’augmentation continue dans le temps du volume (quantité et/ou qualité) de biens et de services produits par habitant d’un espace économique donné.

 

Les termes « par habitant » sont importants. En effet, pour qu’il y ait élévation du niveau de vie matérielle, il faut que le taux de croissance de l ‘espace économique donné soit plus élevé que le taux de croissance démographique.

 

C’est la raison pour laquelle la croissance économique a 200 ans au maximum. Ce processus de croissance continue dans le temps est né de la Révolution industrielle. Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas eu d’augmentation du volume de biens et de services avant la Révolution industrielle. Mais, dès lors qu’il y avait surplus productif, celui-ci était intégralement absorbé par la croissance démographique. Par conséquent, le niveau de vie ne s’élevait pas. Ce régime économique d'avant la Révolution industrielle est appelé régime malthusien.

 

4.2 Mesure

Quand on parle de croissance économique, on a en tête la croissance du PIB par habitant. Dans cette partie, on va s’intéresser à toute variation en volume dans le temps du PIB total ou du PIB par habitant d’un même pays.

 

Pourquoi s’intéresser précisément à la variation en volume ? Rappelons que le PIB est une mesure de la production en valeur (c’est-à-dire que les quantités (Q) produites de chaque bien et service sont pondérées par leurs prix (P) de marché). Si l’on compare les PIB à prix courants (Q × P) dans le temps, on ne saura pas si la variation du PIB (Δ[Q × P]) dans le temps est le résultat d’une variation de la quantité (ΔQ) de biens et de services ou d'une variation des prix (ΔP) du marché de ces biens et de ces services, ou encore des deux à la fois.

 

Quand on s’intéresse à la croissance économique, on s’intéresse à l’augmentation de la quantité de biens et de services c’est-à-dire à la variation en volume du PIB (ΔQ). La difficulté est donc d’extraire de la variation du PIB dans le temps la variation en volume. Pour cela, il faut séparer la variation en volume de la variation des prix. 

 

Comment les comptables nationaux s’y prennent-ils pour séparer la variation en volume de la variation des prix ? Pour certaines catégories de biens et services, ils disposent de séries temporelles exprimées en quantités (tonnes de blé ou d’acier …). Là, le calcul de la variation en volume est simple puisqu’il suffit de calculer le taux de variation entre les séries. Mais pour les autres catégories de biens et de services qui constituent la plus grand part de la production, les comptables nationaux n’ont que des séries temporelles des productions en valeur. Ils ne connaissent donc pas les quantités (Q) de ces biens et de ces services mais seulement la valeur de ces quantités (Q × P). Cependant, ils disposent d’un grand nombre de séries temporelles de prix. Ainsi, ils peuvent composer des indices de prix et déflater (c’est-à-dire diviser par un indice des prix) les séries temporelles à prix courants des catégories de biens et de services pour obtenir des séries temporelles en volume.

 

Exemple : calcul du taux de croissance en volume par déflation

 

4.3 Comparer les PIB dans le temps : variation du PIB en volume d'un même pays

- Variation des quantités et variation en volume

Si l’économie ne produit qu’un seul bien, alors la variation en volume est égale à la variation des quantités. En effet si l’on suppose que les prix ne varient pas entre la période t et la période t+1, c’est-à-dire que Pt+1 = Pt = P, alors

 

(Qt+1 × P) – (Qt × P) = ΔQ × P,

 

où ΔQ = Qt+1 - Qt est la variation des quantités (c’est-à-dire la variation des unités physiques produites) ou bien la variation en volume de la production. Quand il n’y a qu’un seul bien, c’est la même chose.

 

En revanche, si l’économie produit plusieurs biens différents, la variation des quantités n’est plus identique à la variation en volume. Pourquoi ? Rappelons tout d’abord que, dès lors que l’économie produit plusieurs biens différents, se pose la question de l’agrégation de ces productions. On a vu à la section 1 que la manière pertinente d’un point de vue économique d’agréger les productions consistait à pondérer ces productions par leurs prix de marché. Par conséquent, l’agrégation des productions aboutit nécessaire à un nombre qui exprime la production en valeur. Exemple :

 

Production agrégée = (Q1,t × P1,t) + (Q2,t × P2,t) + (Q3,t × P3,t) + …

 

où Qi,t et Pi,t sont respectivement la production et le prix à la période t du bien i = 1,2,3, …

 

La production agrégée est donc la somme des quantités produites pondérées par leurs prix de marché. Le nombre qui en résulte est appelé production nominale ou production à prix courants. Si les quantités en question sont celles de tous les biens et services finals d’une nation, on a alors le PIB nominal ou le PIB à prix courants de cette nation.

 

Comment dès lors calculer la variation de la production à partir de la production nominale ?

 

Pour calculer la variation de la production entre deux périodes, les comptables nationaux utilisent la structure des prix d’une des deux périodes (voir une moyenne des deux ou toute autre combinaison, cela ne change rien au résultat) et pondèrent les quantités produites de chacune des deux périodes par cette unique structure des prix. La période dont on utilise la structure des prix pour la pondération des quantités est appelée la période de base.

 

Par exemple, supposons que  l’économie produise deux biens différents 1 et 2 pendant l’année t et l’année t+1. De manière arbitraire, on décide que l’année t+1 servira d’année de base. Les productions agrégées par année aux prix de l’année de base sont les suivantes :

 

Production agrégée de l’année t : Yt = (Q1,t × P1,t+1) +(Q2,t × P2,t+1)

 

Production agrégée de l’année t+1 : Yt+1 = (Q1,t+1 × P1,t+1) +(Q2,t+1 × P2,t+1)

 

On vient de construire la série des productions réelles ou à prix constants entre l’année t et l’année t+1. Bien évidemment, la production réelle de l’année de base (t+1) est identique par construction à la production nominale de cette même année. Si on fait cette construction pour tous les biens et services finals d’une nation, on obtient le PIB réel ou le PIB à prix constants pour les années t et t+1.

 

Comme les prix sont constants d’une année à l’autre, toute variation observée entre la production agrégée de l’année t et celle de l’année t+1, Yt+1 – Yt, sera le résultat d’une variation du volume de la production, exactement ce que nous cherchions. Donc le taux de variation (taux de croissance s’il est positif) de la production réelle entre l’année t et l’année t+1, (Yt+1 – Yt)/Yt, est le taux de variation de la production en volume.

 

Bien évidemment, si l’on s’intéresse au taux de croissance de l’économie, il faudra alors calculer le taux de croissance de la production en volume tel qu’on vient de le décrire.

 

Attention ! La variation de la production en volume que l’on vient d’expliquer ne doit pas être confondue avec la variation des quantités produites !

 

Prenons un exemple pour illustrer la différence :

 

Soit une économie fabriquant deux biens : le bien 1 = DVD et le bien 2 = Disque Blu-Ray. On supposera que les consommations intermédiaires pour produire les deux biens sont égales à 0.

 

 

DVD (= bien 1)

Disque Blu-Ray (= bien 2)

 

Quantité

Prix en euros

Quantité

Prix en euros

Année 2007

80

10

20

60

Année 2008

70

10

30

60

 

On décide que l’année de base est l’année 2008. On calcule les productions agrégées de cette économie à prix constants :

 

Y2007 = (80 × 10) + (20 × 60) = 2000 euros

 

Y2008 = (70 × 10) + (30 × 60) = 2500 euros

 

Taux de croissance de cette économie = (2500 – 2000)/2000 = 0,25

 

Le taux de croissance de la production en volume est donc de 25 % entre 2007 et 2008. Mais observons les quantités produites, c’est-à-dire les unités physiques produites : le total est de 100 unités pour 2007 et pour 2008. Par conséquent le taux de variation des quantités est nul.

 

Il ne faut donc pas confondre la variation de la production en volume et la variation des quantités produites. Le taux de variation qui nous intéresse est le taux de variation en volume parce que celui-ci prend en compte la « qualité » des biens produits. Il ne s’agit pas d’une « qualité » objective même si on peut légitimement penser que la qualité objective du disque Blu-Ray est supérieure à la qualité du DVD. Il s’agit en fait de la « qualité » telle qu’elle est jugée par le marché. Les prix du marché nous indiquent qu’un disque Blu-Ray  est plus valorisé qu’un DVD, ou en d’autres termes, que les agents économiques retirent plus d’utilité de l’achat d’un disque Blu-Ray que d’un DVD.

 

Or, d’un point de vue économique, ce ne sont pas les quantités physiques produites qui importent mais l’utilité que l’on retire de celles-ci.

 

Remarque : la production agrégée de 2007 aux prix de 2008 n’a pas de sens économique en soi. Le calcul de cette production aux prix de 2008 n’a d’intérêt que pour l’analyse en termes relatifs. Ce qui nous intéresse lorsque l’on construit des séries à prix constants c’est la variation entre les années.

 

Indices de Laspeyres et indices de Paasche

Les indices concernant le PIB dérivent de la théorie du consommateur : voir note sur la théorie des indices.

 

Pour ce qui nous concerne, il faut distinguer les indices de volume et les indices des prix.

 

Un indice de volume est une moyenne pondérée des variations de quantités d’un ensemble de biens et de services entre deux périodes. La variation des quantités pour chaque bien et service est exprimée sous la forme d’un quotient (qt/q0) où q0 est la quantité à la période de base et qt est la quantité à la période de comparaison. Les prix et les pondérations restent fixes.

 

Un indice des prix est une moyenne pondérée des variations de prix d’un ensemble de biens et de services entre deux périodes. La variation des prix pour chaque bien et service est exprimée sous la forme d’un quotient (pt/p0) où p0 est le prix à la période de base et pt est le prix à la période de comparaison. Les quantités et les pondérations restent fixes.

 

Généralement, les indices ont une valeur égale à 100 (ou 1) à la période dite de « référence ». Souvent, la période de référence est la même que la période de base mais ce n’est pas obligatoire.

 

Les moyennes pondérées des variations peuvent procéder de moyennes arithmétiques, géométriques, harmoniques…

 

Parmi ces indices, deux méritent que l’on s’attarde puisqu’ils sont couramment utilisés : les indices de Laspeyres et les indices de Paasche. Ces deux indices peuvent tous les deux être des indices de volume et des indices de prix. Les systèmes de comptes nationaux dans l’Union européenne utilisent des indices de Laspeyres pour calculer les variations en volume et les indices de Paasche pour calculer les variations des prix. Considérons d’abord l’indice de volume de Laspeyres :

 

 

qui est la moyenne arithmétique pondérée des quotients de quantités (variations des quantités pour chaque bien et service) entre la période 0 et la période t. Le terme entre parenthèses est la pondération, c’est-à-dire la valeur de la production de chaque bien et service à la période 0 relative à la valeur de la production de tous les biens et services de cette même période.

 

On peut réécrire cet indice de Laspeyres sous la forme suivante :

 

qui est la variation entre 0 et t des quantités pondérées par les prix de la période de base.

 

Exemple : une économie à deux biens

 

Nous allons considérer une économie produisant deux biens : des téléviseurs et des automobiles dont les quantités et les prix sont présentés dans le tableau suivant pour les années 2004 et 2005 :

 

 

2004

2005

 

Quantité

Prix

Quantité

Prix

Téléviseurs

100

20

80

22

Automobiles

40

100

80

103

 

Le calcul de l’indice de volume de Laspeyres pour cette économie : Cliquez ici

 

Voyons maintenant l’indice des prix de Paasche. L'indice de Paasche peut être écrit sous deux formes équivalentes :

 

 

Le terme au milieu est la moyenne harmonique (c’est-à-dire l’inverse de la moyenne arithmétique de l’inverse des termes) des quotients de prix entre la période 0 et la période t. Les pondérations utilisent les valeurs des prix et des quantités de la période t. La version à droite décrit la variation des prix entre 0 et t pondérés par les quantités de la période t. Un indice de Paasche est en fait l’inverse d’un indice de Laspeyres qui aurait la période t comme période de base.

Exemple : calcul de l'indice des prix de Paasche dans notre économie à deux biens

 

La symétrie entre l’indice de Laspeyres et l’indice de Paasche permet de faire des opérations intéressantes. En effet, le produit d’un indice de volume de Laspeyres et d’un indice des prix de Paasche donne la variation de la valeur des biens et des services à prix courants entre la période 0 et la période t :

 

 

Cette propriété est très utile car elle permet de réaliser ce que nous cherchions : à savoir séparer la variation en volume de la variation des prix pour la variation à prix courants d’un agrégat comme le PIB. En effet, tout agrégat à prix courant peut être décomposé sous la forme d’un produit d’un indice de volume de Laspeyres et d’un indice des prix de Paasche. C’est justement cette équation que les comptables nationaux utilisent pour obtenir les indices de volumes à partir des variations à prix courants et des indices de prix de Paasche. C’est la fameuse procédure de déflation.

 

Exemple : calcul de l'indice de volume de Laspeyres par déflation dans notre économie à deux biens

 

 

Série à prix constants et indices de Laspeyres

 

Nous avons déjà vu que pour calculer les taux de croissance de la production agrégée en volume, on pouvait choisir une période de base pour les prix et utiliser ces prix pour pondérer les quantités de chaque période de la série. On obtenait ainsi une série des productions agrégées à prix constants ;

 

En fait, cette série à prix constants n’est autre qu’une série d’indices de volume de Laspeyres multipliés par la somme de la production agrégée de la période de base.

Par conséquent, les taux de croissance que l’on obtient avec la série à prix constants sont identiques à ceux obtenus avec la série des indices de volume de Laspeyres, les indices étant multipliés par un facteur constant.

 

La méthode de calcul à prix constants possède une propriété intéressante. En effet, le volume de la production agrégée est égal à la somme des volumes des productions composant la production agrégée. Dans notre économie à deux biens, on dirait que le volume de la production agrégée est égal à la somme des volumes des téléviseurs et des automobiles.

 

Cette propriété additive est très utile pour les comptables nationaux.

 

Les taux de croissance de la production en volume ont été pendant longtemps calculés à partir des séries à prix constants dans l’Union européenne. Tous les cinq ans, on changeait de période de base. Par conséquent, tous les cinq ans, on recalculait les séries à prix constants et on obtenait de nouvelles séries pour les taux de croissance.

 

Cette méthode de calcul à prix constants a cependant un gros défaut : la structure des prix relatifs de la période de base appliquée à toutes les autres années est sans doute pertinente pour les années juste avant ou juste après la période de base mais est beaucoup moins pertinente pour les années plus lointaines de la période base. En effet, la structure des prix relatifs se modifie au cours du temps. Ce sont sans doute les biens comme les ordinateurs dont la qualité et les prix changent à un rythme très rapide qui ont amené les comptables nationaux à renoncer à la méthode des prix constants et à promouvoir une méthode de calcul dite de  l’ « enchaînement ».

 

 

Méthode de l’enchaînement

 

Cette méthode consiste à appliquer aux quantités courantes les prix de l’année précédente. Par exemple, pour l’année 2000, on utilise les quantités observées en 2000 et on multiplie ces quantités par les prix de 1999, les quantités de 1999 par les prix de 1998 et ainsi de suite. On peut ensuite calculer les taux de croissance de la production en volume par année de la manière suivante : on utilise la production à prix courants de 1999 et la production de 2000 aux prix de 1999. Le quotient des deux nous donne la variation en volume en 2000 puisque les deux productions sont pondérées par les mêmes prix (ceux de 1999). Pour le taux de croissance de 1999, on utilise le quotient de la production à prix courants de 1998 et la production de 1999 calculée aux prix de 1998, et ainsi de suite. Chaque taux de croissance est donc le taux de variation en volume de la production calculé avec une structure des prix relatifs qui est juste celle de l’année précédente. Par conséquent, on a une structure des prix qui évolue chaque année. Une fois que l’on a obtenu la série des taux de croissance, il faut l’appliquer à une production agrégée d’une année particulière pour obtenir la nouvelle série qui est la série « en chaîne ». Cette année particulière est choisie de manière arbitraire : c’est l’année de base. L’année de base nous donne l’année de production à prix courants. On applique la série des taux de croissance annuels à cette production de l’année de référence pour obtenir la série en chaîne.

 

Exemple: calcul du taux de croissance en volume à partir des indices-chaînes dans notre économie à deux biens

 

Cette méthode présente l’avantage d’avoir une structure de prix relatifs bien plus conforme à la réalité que la méthode à prix constants. Néanmoins, elle a un gros défaut : elle n’a pas la propriété de l’additivité à la différence de la méthode à prix constants. Cela pose donc des problèmes lorsque l’on décompose le PIB en ses différentes composantes. Le volume du PIB n’est plus la somme des composantes en volume. Cela nécessite donc d’en prendre conscience lorsque l’on cherche à calculer le volume du PIB à partir des volumes de composantes. Il faut alors opérer une correction. C’est donc une difficulté non négligeable pour le macroéconomiste appliqué.

 

La méthode de l’enchaînement à plusieurs variantes. Celle que l’on vient de voir est la méthode des indices-chaînes de Laspeyres. Une méthode encore plus précise théoriquement est celle qui consiste à calculer les volumes de chaque année à partir de la moyenne des prix de l’année en cours et ceux de l’année précédente. La structure des prix est a priori encore plus pertinente. On obtient alors des indices-chaînes de Fisher.  En pratique, les résultats des deux méthodes sont peu différents. Dans l’Union européenne, on utilise les indices-chaînes de Laspeyres et aux Etats-Unis on utilise les indices-chaînes de Fisher. 

 

 

 

 

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